Tome V - Fascicule 5 - janvier-mars 1993


La statue de Léopold Ier, un fleuron de la fonderie royale de Canons

Colonel IMM e.r. F. GÉRARD


C'est le 10 mars 1992, en lisant notre quotidien, que nous avons appris que la statue du Roi Léopold Ier, située au sommet de la Colonne du Congrès à Bruxelles, devait être enlevée pour subir une indispensable restauration.

Quelle ne fut pas notre surprise d'apprendre par le même article que la célèbre statue de notre premier souverain avait été réalisée par la Fonderie royale de Canons (FRC) !

Les différents documents que nous avions consultés naguère pour découvrir les multiples et prestigieuses réalisations de la FRC ne mentionnaient nullement que cette statue était également l'oeuvre du célèbre établissement situé Quai Saint-Léonard.

L'ouvrage Liège à travers les âges. Les rues de Liège de Théodore Gobert, pourtant très détaillé, et qui consacre plusieurs pages à la FRC, ne cite pas la statue de Léopold Ier parmi les nombreuses réalisations de la fonderie liégeoise.

Nous nous sommes donc mis à la recherche de documents relatifs à la Colonne du Congrès et avons effectivement eu la confirmation de cette surprenante nouvelle.


La Colonne du Congrès à Bruxelles



Retraçons brièvement l'histoire de ce célèbre monument.


Le Congrès national

C'est par l'Arrêté Royal du 24 septembre 1849 que fut publiée la décision d'ériger à Bruxelles, un monument en commémoration du Congrès national. Rappelons que le Congrès national, ayant achevé la Constitution, s'est séparé le 21 juillet 1831, après l'intronisation du Roi Léopold Ier.


Le projet

53 projets furent déposés à l'issue d'un concours national : c'est le projet de Joseph Poelaert, jeune architecte encore inconnu, qui fut retenu et, en septembre 1849, la décision fut prise d'ériger à la place des Panoramas :

- une statue destinée à surmonter la colonne et devant représenter la Constitution ; les deux Chambres émirent le voeu que la statue du Roi fût placée au sommet de la colonne. Guillaume Geefs (1805-1883) fut retenu comme sculpteur de la statue.

- quatre grandes statues représentant nos libertés fondamentales :

Culte (par Louis Eugène Simonis, 1810-1882)

Association (par Charles Auguste Frankin, 1817-1893)

Enseignement (par Joseph Geefs, 1808-1885)

Presse (par Joseph Geefs) (1)

(1) Note de la rédaction : Joseph Geefs, frère de Guillaume, déjà nommé, et de Théodore, était le sculpteur le plus renommé d'une famille d'artistes.

- un bas-relief composé de 10 figurines représentant le génie de la Belgique, entouré par les personnifications des neuf provinces.

- deux lions à placer près de ta porte d'entrée (par Louis Eugène Simonis).


La première pierre

La pose de la première pierre a donné lieu, le 24 septembre 1850, à une imposante cérémonie au cours de laquelle le Roi a prononcé un discours remarquable, insistant notamment sur le fait que :

"Toutes les libertés inscrites dans le pacte national, respectées et développées, sont exercées sans aucune entrave et le plus bel éloge qui puisse être fait au peuple belge, c'est de dire qu'il s'est montré digne de la Constitution".


La Fonderie de Canons

Le sculpteur Guillaume Geefs suggéra de faire appel à un habile mouleur français, Victor Thiebaut.

La FRC fut choisie pour couler la statue du Roi. L'oeuvre réalisée mesure 4,70 m de hauteur pour un poids de 2500 kg.

La Fonderie coula également 3 statues du piédestal : Liberté de Culte, d'Association et de Presse (la statue Liberté d'Enseignement fut exécutée à Bruxelles par M. Lecherf).

Il est vrai que la FRC jouissait d'une excellente réputation qui dépassait même largement les frontières puisque à partir de 1840, aux commandes d'armement de beaucoup de pays européens, s'ajoutèrent celles des États-Unis, de l'Égypte, du Mexique, du Brésil, etc. Et l'établissement avait aussi acquis une bonne maîtrise dans l'art difficile de la fonderie de statues.

Le Roi Léopold Ier avait d'ailleurs visité le 15 juin 1849, cette superbe unité, commandée alors par le Général d'Artillerie Frédérix.


La Colonne du Congrès

Léopold Ier, apprenant que la colonne devait être surmontée par sa statue, refusa fermement cet hommage de la Nation. Cependant les deux Chambres passèrent outre à la volonté royale, étant donné les éminents services rendus par le Souverain qui avait consacré tant d'énergie à consolider l'indépendance nationale.

La colonne s'élève à 46 m de hauteur. L'escalier qui conduit à la partie supérieure du chapiteau compte 200 marches ; il est éclairé et aéré par des jours taillés dans les ornements qui, de l'extérieur, sont presque imperceptibles. 16 personnes peuvent occuper à la fois la plateforme et contempler un panorama superbe. On écrivait alors : "indépendamment de la capitale et des faubourgs, on distingue, sans le secours de la lorgnette, plus de 30 villes et villages".


L'inauguration

L'inauguration du monument eut lieu le 26 septembre 1859, en présence de nombreuses personnalités et d'un important public ; la famille royale fut représentée par le duc de Brabant, futur Léopold II, et son épouse.


Novembre 1922 : le Soldat Inconnu

Un aveugle désigna le Soldat Inconnu parmi une vingtaine de cercueils de soldats belges non identifiés, tombés pendant la Première Guerre mondiale. L'inhumation eut lieu le 11 novembre 1922 au pied de la Colonne. L'inscription est très simple :

"Ici repose un Soldat Inconnu mort pour la Patrie. 1914 - 1918"

Après la Deuxième Guerre mondiale, on ajouta une dalle portant l'inscription :

"Aux héros de la Guerre 1940 - 1945"


La restauration de la statue de Léopold Ier

C'est l'entreprise de rénovation José Lhoest (Herstal) qui fut choisie pour procéder au lifting de la statue de Léopold Ier.


Dans les Ateliers José Lhoest, on prépare la statue restaurée de Léopold Ier pour le retour vers la capitale


José Lhoest, consacré meilleur artisan de la Principauté, est devenu un véritable spécialiste des restaurations délicates : le Palais des Princes-Évêques, le Perron liégeois.

En octobre 1991, il avait déjà procédé à la rénovation des 7 candélabres de la Colonne du Congrès. L'entreprise a également réalisé les écussons des ponts des autoroutes belges, les cartes historiques et portes des cimetières américains en Europe, le buste de Georges Simenon et... en juin 1972, la plaque d'inauguration de l'Arsenal Intégré, placée sous le monument des trois chars M41.

Début avril 1992, le travail délicat commença par le déscellement des pierres de grès détériorées, l'enlèvement des charpentes métalliques, la réparation du socle en bronze fissuré et la fixation, dans la colonne, d'une armature en acier inoxydable.

Dans les ateliers de Herstal, la statue fut débarrassée des nombreuses oxydations, la surface lisse fut rétablie et patinée par réaction chimique appliquée en profondeur à la flamme, selon les procédés des bronziers d'antan. Puis le martelage et la ciselure ont reconstitué chaque élément dans son esthétique d'origine.

Mi-juin, nous avons eu l'occasion d'aller admirer dans les ateliers Lhoest, la statue superbement restaurée par les remarquables artisans de la firme.

Un convoi routier exceptionnel la ramena alors dans la capitale. La statue replacée sur la colonne pour le 21 juillet est à nouveau apte à défier le temps pour de nombreuses années encore.

Ainsi, c'est une entreprise de Herstal qui a rendu son lustre à la plus célèbre des statues belges, née au milieu du XIXe siècle dans les ateliers de la FRC, à quelque 3 km de là...

L'histoire est ainsi faite; elle ne demande parfois qu'un peu d'intérêt, un rien de curiosité pour révéler des faits insoupçonnés à celui qui veut bien lui consacrer un brin d'attention.

La statue de Léopold Ier, un fleuron de la Fonderie oublié depuis plus de 130 ans !

On pourra compléter les brochures décrivant le passé prestigieux de l'arsenal... (2)

(2) Note de la rédaction : on pourra, par exemple, ajouter la statue de Léopold Ier aux oeuvres d'art citées à la page 19 du Bulletin d'information du CLHAM, tome II, fascicule 2, de juin 1983, dans l'article consacré à la Fonderie royale de Canons à Liège.


Bibliographie

- Brochure "Comité de la Flamme"

- Brochure "La Colonne du Congrès"

- GOBERT Th., Liège à travers les âges. Les rues de Liège.

- Le Soir, 10 mars 1992

- Le Soir, 15 juin 1992


Date de mise à jour : Mardi 1er Décembre 2015