Tome IV - Fascicule 6 - avril-juin 1990


Histoire d'un soldat, classe 1938 (2)

Jules LOXHAY


2. La mobilisation


Quand nous avons quitté la caserne, le 28 août 1939, nous ne doutions pas que c'était sans esprit de retour. C'est à Romsée que le régiment est cantonné.

Je n'aurai pas le temps de m'installer, on me demande de choisir un mitrailleur et un télémétreur (ce dernier est de la classe 36 et habite l'endroit où nous devons nous rendre).

Nous sommes partis pour Engis où nous avons rejoint un peloton de la 10e compagnie chargé de la garde au pont et nous avons partagé leur logement, la salle de café près du pont.

Notre mission était de placer une mitrailleuse sur un remorqueur et d'effectuer des patrouilles sur la Meuse pour surveiller la navigation. Deux bateliers du génie d'Anvers nous avaient été adjoints, mais l'Atlas VI (le frère du célèbre Atlas V de la guerre de 14-18) n'arriva pas.

Le 31 août, les ponts du Val-Benoit et d'Ougrée, touchés par la foudre, avaient sauté.

En attendant que la circulation fluviale soit rétablie et permette l'arrivée de notre bateau, nous avons partagé les activités de la 10e : gardes, travaux de défense, etc. Nous avons joué un match de football contre l'équipe d'Engis et nous avons gagné (la photo de l'équipe a paru dans la Meuse du 16 septembre 1939).

Quelqu'un doté d'une très mauvaise vue a dit "l'armée belge de 1940 était composée de soldats aux poitrines creuses et aux dos voutés".


La photo montre bien que notre état physique valait celui des autres armées, allemande comprise.

En octobre, vers la date à laquelle nous aurions dû être libérés, nous avons rejoint le régiment à Chèvremont. C'était pour faire nos adieux au 14e de ligne qui devenait intégralement flamand.

Notre bataillon a été transféré au 1er de ligne où nous sommes devenus la 8e compagnie du Ile bataillon.

Le chef de corps est le colonel Barthélemy ; la compagnie est sous les ordres du commandant Velle et notre chef de peloton est le lieutenant Pereaux.

Nos positions se trouvent entre les forts d'Évegnée et de Barchon et notre bataillon est cantonné à Saive, où nous apprécions le moelleux et le parfum du foin de la région dans les fenils des différentes fermes.

J'ai été affecté au peloton hors-rang et j'échappe ainsi aux exercices, gardes et travaux divers de retranchement. Je suis avec le fourrier et je passe mes journées dans le magasin.

Peu de temps après, j'ai été désigné comme adjoint au docteur Streel qui fait aussi office d'officier chargé des loisirs et des sports. Le major me charge d'acheter les vareuses pour l'équipe du bataillon ; je les choisis aux couleurs liégeoises : rouge avec col et parements jaunes.

J'ai parcouru la position pour mettre sur pied des rencontres inter-compagnies, inter-bataillons et même inter-unités, ce qui, en tenant compte des impératifs du service et de la disponibilité des terrains, ne fut pas une tâche aisée. Avec ma compagnie, je suis retourné jouer à Engis contre le club dont le docteur Streel est président.

L'hiver précoce et rude nous a contraints à mettre ces activités en veilleuse.

Fin novembre, le caporal Boussart de la classe 36 (le père du mayeur de Saint-Pholien) et moi, avons été affectés à l'encadrement d'une section de recrues de la classe 39 ; ce sont des Hennuyers que notre façon de parler étonne. Ainsi, un jour que nous étions dans une prairie, je vois débouler un lapin et je crie à Boussart :

- "Louk, Denis, ine robète !" (Regarde, Denis, un lapin !). Le soldat qui se trouvait près de moi me demanda :

- "Qwè qu' ti dis ?"

Je répète et voilà mon gaillard qui s'esclaffe, se tape sur la cuisse et crie aux autres :

- "Chouté èm' n'ome douci "ine robète" qu'i dit !" (écoutez mon homme, ici, il a dit "ine robète").

Ce qui a fait rire tout le monde. Comme quoi il faut parfois peu de choses.

Boussart et moi sommes installés à la ferme du vieux château de Saive.

Nous occupons la chambre du domestique, mobilisé lui aussi. C'est un cube de maçonnerie accolé au mur dans le fond de l'étable. Pour y accéder, il faut gravir une échelle qui nous mène sur la paille au-dessus des vaches, puis une autre qui nous conduit à la chambre. On y est directement sous les tuiles dont une, en verre, donne la lumière. L'espace, très réduit, est occupé par un grand lit, une petite table et une chaise.

Un matin, en m'éveillant, je sors le nez et un bras de dessous les couvertures et je sens quelque chose de froid. Je fais de la lumière et je vois que le lit est couvert de neige ! Celle-ci poussée par un vent violent s'insinue sous les tuiles.

Évidemment, il ne fait pas chaud dans la chambre, d'autant que la température baisse rapidement au point que le seau d'eau que nous montons chaque soir pour nos ablutions matinales n'est plus qu'un bloc de glace, le matin.

Heureusement, on me fait repasser au peloton hors-rang, cette fois comme caporal d'ordinaire.

Je change aussitôt de logement. Avec six camarades, nous occupons une pièce d'une petite maison et, privilège du grade, mon matelas est à côté du poêle.

Je suis chargé du ravitaillement. Nous avons fabriqué un traîneau pour aller chercher le pain et la viande à Barchon. Je suis le plus souvent à la cuisine, une "roulante" installée dans un hangar, mais parfois, j'ai l'occasion de descendre à Liège pour y acheter des conserves.


On l'avait assez dit : "on s'en fout comme de l'an quarante".

Eh bien, il est arrivé et les perspectives pour cette année sont bien incertaines.

Après la conquête de la Pologne par l'Allemagne, les belligérants semblent s'être mis en hibernation. C'est, comme disent les journaux, "une drôle de guerre".

Nous, nous sommes neutres et c'est bien volontiers que nous laisserons la gloire aux Français qui clament : "Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts", et aux Anglais qui chantent : "Nous irons pendre notre linge sur la ligne Siegfried".

En attendant, la principale préoccupation de l'armée belge en campagne est de se protéger du froid. C'est pourquoi passe-montagnes, écharpes de laine et gros sabots de bois, bien que peu réglementaires, sont tolérés.

J'ai retrouvé mon agenda de 1940 et j'y lis :

- Les 6, 7 et 8 janvier : congé.

- Le 14 : alerte générale (si mes souvenirs sont bons, un aviateur allemand abattu par notre DTCA, était porteur de plans d'invasions de notre pays)(1).

(1) N.d.l.r. Voir le Bulletin d'information, tome IV, fasc. 5, page 71 : "Le 10 janvier 1940, les plans d'invasion allemands tombent du ciel".

- Le 24 : je rejoins mon peloton pour occuper la position EB 4 (E pour Évegnée et B pour Barchon). Nous revenons dans une des fermes du début. Nos prédécesseurs ont aménagé une porcherie et y ont construit des bat-flancs sur lesquels nous rangeons nos paillasses côte à côte.

- Le 26 et le 30 : je suis de garde.

- Les congés étant toujours retardés, je ne peux pas partir le 3 février comme prévu.

- Le 5 : je reçois ma permission et je rentre à la maison pour six jours. J'attrape un furoncle au talon droit et le médecin militaire que je vais consulter me donne quatre jours supplémentaires.

- Le 14 : quand je rentre au cantonnement, il est près de minuit et, surprise, je trouve le local vide, à l'exception de mon fusil, du sac contenant mes effets et de mes fournitures de couchage.

- Le lendemain : j'apprends que la compagnie a changé de cantonnement. Je charge mon barda sur un traîneau et je rejoins les autres. Je suis très mal accueilli par l'adjudant qui s'apprêtait à me porter déserteur. Il me met au rapport du commandant, mais celui-ci, après m'avoir entendu, classe l'affaire sans suite.

- Le 16 : je repasse au peloton hors-rang. Nous logeons dans un baraquement tout près du cimetière militaire de Rabosée.

- Du 7 au 12 mars : je suis en congé. Quand je rentre, nouvelle affectation : je passe en subsistance à la 6e compagnie ; mission : garde permanente à l'abri 5 en cas d'alerte.

J'ai, évidemment, encore changé de cantonnement. C'est à Wandre, cette fois, que je vois fleurir les forsythias.

Nous logeons dans le baraquement de l'Oeuvre nationale de l'Enfance. Comme, en fait de lits, il n'y avait que des cadres en bois sans sommier, nous avons fait appel au système D. Nous avons coupé de vieux pneus de vélos et les avons cloués dans le sens de la longueur, puis nous avons coupé des morceaux plus petits que nous avons tressés et fixés dans le sens de la largeur, et ça a donné des lits fort confortables.

On nous a distribué un exemplaire d'un hebdomadaire que nous recevons assez régulièrement depuis le début de la mobilisation. Il s'appelle "Le Barbelé" et a pris comme devise celle du 14e de ligne : "Qui s'y frotte s'y pique".

Je passe beaucoup de temps à l'abri de contre-irruption 5 qui se trouve au pied de la Xhavée, Le personnel se compose : d'un sergent, d'une équipe pour le canon de 4,7 et de mon équipe de mitrailleurs.

L'abri est composé :

- d'un rez-de-chaussée sans autre ouverture que la porte d'entrée qui donne sur un petit sas formé par un mur dressé devant la porte et qui est percé d'une embrasure pour défendre celle-ci. Derrière le mur, il y a une trappe qui donne accès à un passage souterrain qui permettrait l'évacuation discrète de l'abri et dont la sortie se trouve dans la tranchée du chemin de fer. Dans l'angle opposé, il y a une échelle qui donne accès à la partie supérieure de l'abri ;

- d'un étage où on trouve :

- contre le mur de droite : les obus perforants et percutants du canon de 4,7 cm ;

- contre le mur de gauche : les caisses de grenades et les boîtes de munitions pour la mitrailleuse ;

- l'ouverture pour le phare, l'embrasure pour la mitrailleuse et celle pour le canon, qui peuvent être fermées par des volets d'acier ;

- une sortie de secours d'un mètre de côté qui donne sur le talus auquel est accolé l'abri. Cette sortie est fermée par des poutrelles d'acier ;

- une échelle métallique, au centre de la pièce, qui permet d'accéder à la tourelle d'observation.



Abri de contre-irruption 5

a = coupole d'observation

b = embrasure pour le canon de 4,7

c = embrasure pour la mitrailleuse

d = embrasure pour le phare



Vue en plan du premier étage

1 = échelle vers rez-de-chaussée

2 = obus pour 4,7

3 = sortie de secours

4 = canon 4,7

5 = mitrailleuse

6 = phare

7 = cartouches

8 = grenades

9 = échelle vers coupole d'observation


- Le 30 mars, je change encore de logement. Le déménagement est court, il faut juste traverser la route et monter au second étage d'un immeuble particulier. Heureusement, nous restons à Wandre où c'est plus agréable que dans la campagne de Barchon. On peut aller au café, au cinéma, ou prendre une douche au phalanstère du charbonnage.

- Avec le printemps, on reparle de sport ; les terrains de football sont boueux, mais on espère pouvoir rejouer dans une quinzaine de jours. Le docteur Streel me fait savoir que mon commandant m'a proposé pour le grade de sergent et que je serai prochainement transféré au service "Sports et Loisirs".

- Le 10 avril, les congés sont suspendus puis rétablis quelques jours plus tard.

- Le 27, je pars en congé jusqu'au 29. Je suis à peine rentré que les congés sont supprimés.

- Le 9 mai, les permissions sont rétablies.

- Le 10 mai, vers 1.30 h du matin, le sergent entre dans la chambre et crie "Debout, c'est la guerre". Évidemment, il se fait chahuter. Hélas ! Il faut bien se rendre à l'évidence, il ne plaisante pas. J'enfile mon équipement et me rends avec mon équipe à mon poste dans le fortin 5.


3. La guerre


Le 10 mai, vers 2.30 h du matin, nous arrivons à l'abri où nous retrouvons le sergent et l'équipe du canon de 4,7. Nous déposons nos sacs et installons une garde aux pièces.

Dès le lever du jour, nous regardons passer les avions allemands.

La DTCA tire et des éclats retombent près de nous. Un peu plus tard, nous apprenons que, sur les hauteurs de la Xhavée, un soldat a été tué par un éclat.

Dans la matinée, nous voyons arriver de petits groupes de gardes-frontière. Ils ont supporté le premier choc mais ont dû se retirer pour éviter l'encerclement. Une vingtaine de soldats hollandais passent devant nous. Ils sont sans arme et vont Dieu sait où.

Dans l'après-midi, mes parents viennent me rendre visite. Ils sont inquiets car ils ont déjà vécu une guerre et savent que la séparation risque d'être longue. Nous jouons les fanfarons, peut-il en être autrement ? Nous n'avons pas encore eu l'occasion d'avoir peur ! Et puis, que risquons-nous dans un aussi beau fortin ? Mes parents semblent rassurés. Mais le sont-ils vraiment ? Ils me quittent en me promettant de revenir, le lendemain, avec mes frères.

La nuit est tombée. On nous informe que nous devons évacuer l'abri et nous rendre à Herstal. Nous emportons la mitrailleuse et sabotons le canon. Nous rejoignons nos compagnies et passons la nuit chez l'habitant.

Le 11 mai. Mon bataillon (le Ile) a pour mission : occuper et défendre le sous-secteur nord qui s'étend de Herstal au pont de Wandre. Les trois autres bataillons occupent Grâce-Berleur, Ans et Liers, tandis que le PC est à Alleur.

Vers midi, on fait sauter le pont de Herstal. Je suis à 100 m de là et, malgré la protection des maisons, le souffle de l'explosion me plie en deux.

Les autres bataillons reçoivent l'ordre de se porter entre Glons et la station de Roclenge-sur-Geer. Échelonnées entre Fexhe-Slins et Liers, ces unités sont attaquées, de 13.30 h à 18 h, par des vagues successives de Stukas et de biplans Heinkel lâchant leurs bombes en piqué et mitraillant tout ce qui bouge. Les pertes s'élèvent à 30 tués et quelques dizaines de blessés. Le charroi hippomobile est en grande partie détruit et la plupart des chevaux tués. Les bataillons sont dispersés.

Dans la soirée, le régiment reçoit l'ordre de se replier vers Namur.

Le 12 mai. Nous avons marché toute la nuit et, le matin, on fait une halte à la sortie d'Engis.

Dans l'après-midi, nous repartons et, quand nous arrivons à Flône, nous voyons encore des avions qui tournent et qui piquent sur les troupes qui sont sur le plateau du côté de Hannut.

À Huy, nous rencontrons un petit blindé français dont les occupants nous saluent avec un brin de gouaille (il faut bien dire qu'à ce stade des opérations, les Français ont encore une grande confiance dans les vertus de leur potion magique : le pinard).

Nous traversons la Meuse et, par les crêtes, prenons la direction de Namur.

Le 13 mai. On nous dit que nous nous replions sur la deuxième ligne de défense. Nous rencontrons de plus en plus de Français : un régiment de Nord-Africains, des canons en batterie dans les champs et de petits groupes motorisés. Des bombardiers allemands nous survolent à faible altitude. Quand ils sont juste au-dessus de nos têtes, je vois les bombes se détacher et tomber en sifflant. Je n'ai pas peur car je sais qu'elles toucheront le sol un peu plus loin. De fait, elles vont faire des dégâts chez les Français qui se trouvent de l'autre côté du talus.

Après deux nuits à la belle étoile, des civils m'ouvrent leur porte et je peux passer celle-ci dans un lit.

Le 14 mai. Nous partons vers Ransart où nous embarquons dans un train.

Le 15 mai. Nous avons roulé toute la nuit et une bonne partie de la journée. À Gand, où le train fait halte, le bruit court qu'on a arrêté de nombreux espions. Nous apprenons qu'un train qui nous suivait a été touché par l'aviation.

Le soir, nous débarquons dans un patelin dont j'ai oublié le nom.

Je m'installe dans un local où l'intendance a stocké des vivres et j'y passe la nuit.

Le 16 mai. Ce matin, pendant que je faisais ma toilette, on a fermé l'intendance et je dois faire la file pour obtenir ma ration et récupérer mon équipement.

Plus tard, nous partons pour Marie Aalter où nous logeons chez l'habitant.

Le 17 mai. Ce qui reste du régiment a été regroupé.

On fait le bilan : environ 30 % de l'effectif est hors combat (35 tués, des blessés, des prisonniers et des disparus dont beaucoup ont été déroutés par les Français et coupés de l'unité).

L'armement et le charroi d'une valeur de deux compagnies de mitrailleuses, de la compagnie de mortiers de 7,6 et de la moitié de la compagnie de canons de 4,7 ont été détruits (en grande partie le Il).

Faute de renforts en hommes et en matériel, le régiment est reformé sur base de deux bataillons à trois compagnies de fusiliers, une compagnie de mitrailleuses (12 pièces) et une compagnie de canons de 4,7 (7 pièces). L'effectif est réduit à 2000 hommes.

Nous voyons une vingtaine de biplans belges tourner dans le ciel puis se poser sur l'aérodrome voisin. Je me promène et voilà qu'arrive un groupe important de soldats français dont très peu ont encore leurs armes. J'ai à peine le temps d'apprendre qu'ils ont eu un engagement très dur qu'on entend le bruit d'un moteur d'avion. Aussitôt, c'est la débandade ; les Français plongent dans les fossés et je reste seul debout car l'avion, qui débouche en rase-mottes, porte les cocardes françaises.

Le 18 mai. Une vingtaine de Dorniers viennent lâcher leurs bombes sur le champ d'aviation et détruisent au sol la plupart des avions.

Le 19 mai. Je tiens compagnie à la sentinelle qui monte de garde devant le moulin dont nous regardons tourner les ailes. Nous sommes assis et le soldat a posé son fusil contre le mur, entre nous. Il joue avec la détente de son arme et "pan", le coup part, à 5 cm de mon oreille droite.

Le 20 mai. Les Dorniers sont revenus, pour achever les derniers avions et rendre le terrain inutilisable.

Le 21 mai. Rien à signaler.

Le 22 mai. Nous allons occuper le terrain abandonné par les Anglais devant la Lys.

Le 23 mai. Nous avons passé la rivière et notre régiment est déployé le long de la rive. Le sergent et moi allons repérer les positions de notre compagnie et les chemins que devra emprunter notre section de ravitailleurs. Nous sommes stupéfaits car les 500 mètres que nous avons parcourus, entre le canal, sur l'autre rive duquel se trouve le PC du commandant, et la Lys, ne sont pas occupés, ce qui signifie que nos camarades qui sont là, au bord de l'eau, alignés les uns à côté des autres, devront combattre sans la moindre protection arrière !

Notre section s'installe dans une maison au milieu des champs. Nous sommes à portée de voix du PC et à 300 m, en ligne droite, derrière notre compagnie.

Vers 19.30 h, l'artillerie allemande ouvre un feu violent sur nos positions. La bataille d'Ooigem vient de commencer.

Dans le village, des maisons brûlent. Nos artilleurs ripostent et infligent des pertes sévères à l'ennemi dont les nombreuses tentatives de franchir la Lys sont toutes vouées à l'échec.

Vers 22 h, je me couche à terre dans la cuisine et je m'endors au son du canon.

Le 24 mai. Pendant la nuit, notre régiment a été déplacé vers la droite, à l'autre côté de la jonction du canal et de la rivière. Nous devons rentrer au PC où on nous indique les nouvelles positions à ravitailler.

Dans un petit bois, près du canal, on a creusé des trous à moitié couverts par des sacs de terre. Nous y installons notre section et puis je pars avec le sergent pour aller reconnaître l'emplacement occupé par notre compagnie. Elle se trouve au bord de l'eau, dans un secteur boisé qui est soumis à un bombardement intense.

Un blessé nous demande de le conduire à l'infirmerie. Nous en sommes assez proches quand un obus éclate, en l'air, à 20 m de nous. Nous avons "vu" la boule de feu et les traces de fumée laissées par les éclats, mais nous n'avons rien "entendu".

Les Allemands ont fait monter un ballon d'observation. Il doit nous avoir vus car, lorsque nous rejoignons la section, l'artillerie se met à nous tirer dessus. Je plonge dans le trou où se trouve déjà Julien et m'assieds à côté de lui. La mitraille hache les branches des arbres et des éclats tombent un peu partout mais les sacs de terre, au-dessus de nos têtes, suffisent à nous protéger.

Il est 8 h du matin ! Seulement ? Les Allemands sont obstinés, ils n'arrêtent pas de tirer sur nous. La poignée de soldats que nous sommes ne mérite pas tant d'honneurs.

Vers midi, la cuisine roulante profite d'une courte accalmie et nous apporte de la nourriture ; nous recevons, en tout et pour tout, une pleine gamelle de petits pois.

Et ça continue. Il faut être très rapide pour aller faire pipi entre deux salves.

Nous roulons une cigarette. En donnant du feu à Julien, je remarque qu'il est blême ; la peau de son visage semble collée sur les os. Je ne suis probablement pas plus beau à voir. Est-ce la peur ? Je ne crois pas. Disons que nos sens sont en alerte et que nous sommes prêts à agir à la moindre sollicitation. L'occupant du trou voisin nous montre un beau morceau de métal qui vient d'atterrir à ses pieds.

Peu de temps après, Julien et moi avons la sensation qu'une mèche fore un trou dans le sol ; dans le même temps, nous nous sentons soulevés et comprimés. Un peu de terre tombe dans notre trou. Un obus vient d'exploser dans le sol, si près que nous n'avons pas entendu l'éclatement (nous verrons que le bord de l'entonnoir était à moins d'un mètre de notre dos).

Vers 6 heures du soir, le tir cesse, enfin ! Mais les Allemands, en nous bloquant dans nos trous, nous ont empêchés de ravitailler nos camarades. On nous appelle et nous quittons notre bosquet pour aller décharger un camion qui a versé dans le fossé.

La nuit est tombée. Nous avons changé de position ; nous sommes repassés de l'autre côté du canal. Je rencontre le sergent Léonet ; il est venu chercher du renfort mais on l'empêche de rejoindre ses hommes car le pont va sauter.

Au bord de la Lys, le spectacle est dantesque. Au-dessus des maisons qui brûlent, le ciel est transformé en un long rideau rouge auquel les obus qui explosent donnent un éclat éphémère.

Je marche avec Léonet. Nous fumons une cigarette et voilà que quelqu'un tire sur nous. Dans une envolée digne d'un gardien de but international, nous plongeons dans le fossé.

Le 25 mai. En début de journée, nous sommes dans un champ de blé. Un major passe et nous dit de creuser des trous. Les Allemands ont franchi la Lys et on aurait aperçu des éléments avancés.

Nous devons à nouveau nous déplacer. Dans un village, le carrefour par où nous devons passer est pris sous le feu de l'artillerie. Une estafette motocycliste vient d'être renversée par une explosion. L'homme n'est heureusement pas blessé. Nous passons sans incident.

Nous devons rejoindre l'état-major qui se trouve à Hertegem. À cet endroit nous retrouvons les musiciens du régiment. Notre unité a fondu comme neige au soleil. Les rares rescapés des bords de la Lys nous racontent comment, pendant plus de 24 heures, ils ont résisté et comment ils ont pu échapper à l'ennemi qui, au prix de pertes importantes, avait finalement réussi à traverser la Lys et qui, vu l'absence de couverture, les prenait à revers.

À Ooigem, le 1er de ligne a eu 72 tués, plus de 200 blessés et les trois quarts du reste faits prisonniers. Parmi les mitrailleurs avec qui j'ai fait mon service, je sais que, à cette seule place, il y a eu 2 tués : Charlier et Verleyen, quelques blessés dont : Jadoul, Smets et Vandenbos et une vingtaine de prisonniers.

Le 26 mai. Les Allemands lancent des tracts disant que les Français et les Anglais nous ont abandonnés et que nous devons nous rendre.

Nous sommes pratiquement encerclés et le bruit court qu'on va faire comme en 1914, se retrancher derrière l'Yser.

En attendant, mon estomac me rappelle que je n'ai rien mangé hier et aujourd'hui. J'entre dans une ferme occupée par des réfugiés. Ils me donnent du lait sûr que je n'arrive pas à avaler et une tartine.

Je m'assieds sur un petit talus au-dessus duquel une haie cache un verger et je roule une cigarette. Soudain, mes tympans sont sur le point d'éclater. Juste derrière moi, une batterie de 75 vient d'ouvrir le feu.

Le 27 mai. Au petit jour, on nous fait sortir de la serre où nous avons passé la nuit. On rassemble tous les soldats qui se trouvent dans le coin et on forme des groupes de combat qui prennent aussitôt place dans des camions.

Je reste avec une douzaine de sous-officiers. Nous avons dû donner nos armes et nous devons attendre qu'on nous en rende d'autres. Un camion doit venir nous rechercher.

Une heure plus tard, nous recevons des fusils modèle 1889 que nous devrons charger avec nos cartouches modèle 1930. (la balle mod 89 a le bout rond, tandis que la balle mod 30 a le bout pointu et a une trajectoire plus tendue ; ce qui veut dire que pour atteindre les jambes, nous devrons viser la tête, car la ligne de mire n'a pas été adaptée à nos projectiles).

Une camionnette vient nous chercher. Elle est conduite par un civil qui a été réquisitionné. Au premier voyage il est tombé en panne. Les occupants ont été répartis dans les autres camions et on lui a dit qu'après avoir réparé il devait venir nous prendre. Ce qu'il fait. L'ennui c'est qu'il ne sait pas où se trouve notre unité.

Nous approchons de Tielt et partout, dans les fossés, des soldats attendent. Le lieutenant qui a pris le commandement de notre petit groupe essaye de savoir où sont les autres, en vain.

Nous quittons la route et nous engageons dans une rue latérale. Comme nous allons en atteindre le bout, une arme automatique ouvre le feu sur nous. Je suis debout à l'arrière et je vois les balles hacher le bas des volets et arracher des éclats de pierre aux façades. Le chauffeur s'arrête et repart aussitôt en marche arrière. Le lieutenant et lui sont le nez sous le tableau de bord. C'est donc sans rien voir qu'il recule sur 150 m, prend le virage et nous met à l'abri. Grâce à Dieu, personne n'est blessé.

Nous repartons à pied et ne retrouvons toujours pas nos camarades.

En désespoir de cause, le lieutenant nous met en position à l'orée d'un bois. Nous sommes séparés de la route par un petit vallon où, légèrement sur notre gauche, se trouvent des bâtiments de ferme. Une bonne centaine de grenadiers viennent s'installer à côté de nous. On se sent moins seul.

Des officiers sortent de la ferme et s'asseyent dans l'herbe, un peu à l'écart. Ils ont eu de la veine ; juste à ce moment, des obus tombent sur la ferme.

Les grenadiers décrochent. Après une courte hésitation, le lieutenant nous dit de faire de même. Lorsque nous arrivons à la route, nous sommes à nouveau pris à partie par l'artillerie.

Les grenadiers sont arrêtés par les gendarmes et conduits dans la cour d'une école. Quant à nous, nous avons droit à une sérieuse engueulade de la part d'un major. Le lieutenant lui explique notre situation. Le major se calme. Un sous-officier lui ayant expliqué que, depuis plus de deux jours, nous n'avons reçu aucun ravitaillement, le major s'en va donner un ordre et nous recevons, chacun, un pain et une boîte de viande.

Le lieutenant a reçu des instructions. Après un court déplacement, nous nous déployons en tirailleurs dans une prairie, à droite d'un chemin de terre. On nous a adjoint un canon de 4,7 tracté par une chenillette. Le conducteur est seul et n'a plus d'obus !

Nous arrivons à un champ de blé séparé du chemin par une maison entourée d'un jardin. Est-ce d'ici qu'on m'a tiré dessus il y a un quart d'heure ? Je m'apprête à franchir la haie quand arrivent 18 Dorniers qui nous survolent en tirant de toutes leurs pièces. On peut voir, dans le ciel bleu, la trace de chaque coup tiré. Cela crépite autour de nous comme de la grêle sur un toit de verre.

Personne n'est touché. Nous nous relevons et nous voyons que chaque impact est marqué par une petite colonne de fumée. Qu'est-ce que c'est que ça ? Tout-à-coup, je suis pris d'une frousse rétrospective. Je viens de me rendre compte que, si je m'étais couché perpendiculairement à la haie, j'aurais reçu une balle dans le dos. En effet, il y a de la fumée à 20 cm à gauche de la place où mes épaules se trouvaient, ainsi qu'à 50 cm à droite. Nous avons eu une sacrée chance !

Nous sommes revenus à notre point de départ. J'entre dans la ferme pour faire remplir ma gourde d'eau. Pendant que j'attends, j'entends parler dans la pièce voisine, et mon coeur se serre. Ce sont des enfants qui prient.

Je sors et je reprends ma place. Brusquement des colonnes de terre montent vers le ciel. L'artillerie allemande tire sur l'endroit où nous venons d'être mitraillés. Les obus tombent, en quinconce, sur toute la largeur de la prairie et le tir se rapproche progressivement. À part la ferme, il n'y a pas d'abri. Alors, nous reculons, sans hâte et sans panique.

Nous repartons à la recherche de notre unité. Sur une petite butte nous découvrons une batterie d'obusiers de 155. Ils tirent à vue sur un objectif qui se trouve dans la plaine, environ 1 km plus loin. C'est ainsi que nous voyons l'arrivée de ces projectiles dont le départ nous assourdit. Le soir, nous entrons dans une grange pour y passer la nuit.

Le 28 mai. Vers 5 h du matin, le fermier vient nous éveiller et nous dit que les Allemands sont proches. Nous prenons nos armes et nous sortons. Nous scrutons la nuit et puis quelqu'un fait remarquer qu'il fait bien calme. Même en tendant l'oreille, nous n'entendons ni canonnades, ni tirs de fusils ou d'armes automatiques comme c'était le cas depuis 5 jours (le protocole de capitulation a été signé à 0.20 h et les armes se sont tues à 4 h du matin).

Nous arrivons dans une localité située à 12 km de Bruges et nous apprenons la nouvelle. L'ordre est donné de déposer les armes. Nous les jetons, en tas, sur le côté de la route. Pendant que nous attendons des instructions, nous voyons passer une voiture allemande qui arbore un énorme drapeau blanc.

Dans le courant de l'après-midi, je vois des soldats, de plus en plus nombreux, se mettre en route pour rentrer chez eux. Je commets la bêtise de faire comme eux. Le soir, les Allemands nous arrêtent et nous parquent dans une prairie.

Le 29 mai. Tôt le matin, nous sommes autorisés à repartir. Je marche, en compagnie d'un sergent, parmi les nombreux réfugiés qui regagnent leurs foyers. Un soldat de la "Flak" arrête un véhicule. Il invite des femmes et des enfants à prendre place sur la plate-forme. Comme nous arrivons à sa hauteur, il nous fait signe de monter, chacun d'un côté, sur les larges marchepieds. Nous nous agrippons et la voiture démarre dans la direction de Bruxelles.

Le chauffeur nous débarque au centre de la capitale. Une dame, à qui nous demandons notre chemin, nous invite à manger. C'est une verviétoise ; inutile de dire que le riz qu'elle nous offre est extra.

Le 30 mai. Nous marchons depuis quelques heures. Un camion de l'armée allemande s'arrête et le chauffeur nous fait signe de monter dans la remorque. Il nous conduits jusqu'à Tirlemont.

Je prends la route de Saint-Trond tandis que mon compagnon s'en va dans une autre direction.

Le 31 mai. Je suis seul dans le tram qui part vers Oreye. À la sortie de la ville, nous coupons une colonne de prisonniers belges. Quelques uns prennent le tram en marche.

À Oreye, nous changeons de tram. Sur la plate-forme avant, on conseille aux soldats de descendre à Rocourt. À l'arrière, on ne me dit rien et je vais jusqu'au terminus, au pied de la rue de Campine.

Des gens sont massés des deux côtés de la rue Sainte-Marguerite et au Cadran. Je traverse la rue ; là, une femme me barre le passage et me demande si je connais son neveu qui est au 1er de ligne. Il s'agit d'un soldat de ma compagnie, et je sais qu'il a été tué. Je n'ai pas le courage de le dire à sa tante.

Pendant que nous parlions, un Allemand s'est approché. Il me dit de le suivre. Trois ou quatre autres soldats belges nous accompagnent. Nous sommes conduits au Palais. Nous sommes persuadés qu'on va recevoir ce fameux "cachet" dont on a entendu dire qu'il permettait de rentrer chez soi en toute tranquillité. Il nous faut, hélas, déchanter, car, après un court interrogatoire, nous sommes conduits à la Citadelle.

Nous venons de perdre notre liberté.


La fin

Lord Gort demande que l'armée belge gagne l'Yser. Le Roi lui fait répondre que cette idée doit être proscrite parce qu'elle détruirait nos unités combattantes plus rapidement que la bataille en cours et ce, sans pertes pour l'ennemi.

Le 27, à 3 h du matin, Churchill télégraphie à Lord Gort : "Il est maintenant nécessaire d'avertir les Belges (du rembarquement). Nous leur demandons de se sacrifier". Il se justifie à l'amiral Keyes, qu'il sait grand ami de la Belgique : "Nous ne saurions servir la cause de la Belgique en nous laissant encercler et affamer".

L'armée belge continue sa résistance désespérée sur un front percé comme une écumoire.

À Ooigem, une rue porte le nom du commandant Vincke de la 5e compagnie, tombé à l'endroit portant le n° 52.

La Bavikhoofsestraat a été rebaptisée rue du 1er de ligne.

Lors d'une visite du site en mai 1990, nous avons vu à l'entrée du bois d'Ooigem l'inscription suivante : "Passant respecte ce lieu. Le sol est imprégné du sang des braves".

Le plan et la liste des militaires belges tombés à Ooigem sont extraits de la plaquette "Ooigem" par Valère Vindevogel, éditée par la Royale Fraternelle nationale du 1er Régiment de Ligne.

La croix dans le bois et le monument portant les noms ci-dessous.

Les numéros précédant les noms correspondent aux endroits, indiqués sur le plan ci-contre où les corps ont été enterrés en 1940.

Il est de bon ton de se moquer de ceux qui ont fait les dix-huit jours et de les traiter de poltrons et de fuyards. Or, tous les mouvements que nous avons exécutés l'ont été "par ordre" et quand on nous a demandé de faire front, nous l'avons fait avec autant de courage et d'efficacité que nos ainés de 14-18.

Nous avons été battus, c'est vrai, mais ce sont les avions et les blindés, abondants en face, inexistants chez nous, qui ont fait la différence. Pendant la campagne, j'ai vu : le 11, 6 avions français ; le 17, 20 avions belges (détruits au sol les 18 et 20) et un autre avion français. La Luftwaffe faisait ce qu'elle voulait et ne s'en privait pas.

Outre ses nombreux blessés, le 1er de ligne a eu 130 tués.

Aux 72 tombés sur la Lys, il faut ajouter :


Le 10 mai

CORMANS Jean, Sdt

DEFOSSEZ Denis, Sdt

Le 11 mai

CHARLIER Carl, Sdt

COQUETTE Gustave, Cpl

DAUBRESSE, Cpl

DETRIER Albert, Sdt

DORMANS André, Sdt

DUPONT Raymond, Sdt

GAYET Georges, abbé

GEERTS Charles, Cpl

LIBERT Joseph, Sdt

LORENT Pierre, Cpl

MARISSEN Camille, Sdt

JEHASSE Paul, Sdt

SHAEGER Roger, Cpl

TREWISSEN Pierre, Sdt

WUEST Robert, Sdt

CLINQUART Henri, Sdt

CUILLINCK Joseph, Sdt

DERRIDER Simon, Sdt

DIEZ Jean, Cpl

DRESS René, Sdt

FRANCOIS Auguste, Sdt

GEERTS Albert, Sdt

HIERSOUX Georges, Sdt

MINSART René, Sdt

GOFFIN Alphonse, Sdt

JACOB Alphonse, Sdt

NOMWILER Raoul, Sdt

SERVAIS Henri, Sdt

WERBOMONT Henri, Sdt

GERARDY, Sdt

Le 12 mai

MALVAUX Joseph, aum

TERWAGNE Léon, Sgt

RAICK, Edmond Capt Med

Le 13 mai

ANDRE Franz, slt

LEMPEREUR Jacques, Sdt

SCHEPERS Aristide, Sdt

Le 16 mai

MAGNERY Léon, Sdt


Le 20 mai

OGER Robert, Sdt


Le 23 mai

LUYS Florimont, Cpl

VERMOTE André, Sdt

POLET Louis, Sdt

PLUMIER Edmond, Sdt

Les 24/25 mai

voir le tableau


Le 25 mai

DELHOUGNE William, Sgt

BRASSEUR Maurice, Sdt

DEJARDIN José, Sdt

HANS Maurice, Sdt

DANNIAU Gérard, Sdt

Le 26 mai

POELS George, Sdt

MAQUET Arthur, Sdt

Le 27 mai

MAROTTEN Michel, Sdt

VELLE J. A., Cdt

RENIER Alfred, Sdt

VAN CAMELBEECK, Sdt

Le 28 mai

BACCART Charles, Sdt


Le 7 juin

Von MEURERS Jacques, Cpl


Le 8 juin

BYLOOS Yvon, Cpl (France)




[À suivre]


Date de mise à jour : Mardi 24 Novembre 2015